Bonjour Alexandre !
Merci pour votre temps et votre participation à cette courte entrevue.
Introduction :
Avant toute autre chose, j’aimerais vous féliciter pour votre essai ! Sans prétendre à l’exhaustivité absolue, vous faites le tour de la question de façon honnête et pondérée. Votre propos est à la fois solide, alarmant et réfléchi. Et tous les points de vue -tous partis confondus- risquent de se reconnaître dans la critique constructive. J’ajouterais enfin que vous n’avez jamais la prétention d’apporter l’analyse d’un académique, mais pour appuyer votre démarche et, surtout, votre préoccupation, vous faites notamment appel aux propos de politologues de manière soutenue.
Comme il s’agit d’un vaste sujet, il pourrait être facile de se perdre dans un tourbillon à la fois théorique ou anecdotique lorsque l’on aborde les enjeux de l’électoralisme ou même du populisme. Pourtant, vous ne l’avez pas fait. Comment vous y êtes-vous pris pour garder votre propos clair et centré ? Comment détermine-t-on la variété des subdivisions du sujet principal qui est préférable d’aborder dans le livre ?
Dès le départ, je m’étais fixé un objectif : celui de parler au grand public, de parler aux citoyens et aux citoyennes, pour essayer de mettre des mots sur ce qu’ils et elles ressentent par rapport à la politique. On sait, avec les données, que ces citoyens et ces citoyennes ressentent de plus en plus de cynisme, de plus en plus de déconnexion et de plus en plus d’indifférence. Donc à partir du moment où est-ce que tu te dis que tu écris pour ce public-là, tu n’as pas le choix aussi de garder un langage qui sera plus accessible et un style qui sera plus concis. Quand je faisais référence à la science politique ou que je soutenais des arguments avec des travaux de politologues, je le faisais en essayant de toujours vulgariser ce qui a pu être écrit dans des articles scientifiques. Puis après, pour les différentes déclinaisons du sujet principal, pour les différents chapitres de l’ouvrage, je me suis toujours dit qu’il fallait qu’il y ait un fil conducteur. Donc même s’il s’agit d’un essai, je l’ai écrit un peu -je dis un peu, sans prétention- à la manière d’un roman. C’est-à-dire que la fin de chaque chapitre ouvre sur le chapitre suivant. Puis j’ai essayé de faire en sorte que, dans un chapitre, le lecteur ou la lectrice soit capable de cheminer avec moi dans cette histoire que je tente de leur raconter.
C’est sûr que ça été un travail de modelage et de remodelage constant. J’ai écrit, mais j’ai rebougé des parties, parce qu’à certaines occasions, je me suis dit : « Ah, ça, finalement, ce serait mieux si je l’abordais plus tôt. » ou « Ça, ce serait mieux si je l’abordais plus tard. ». C’est un livre dont j’ai ajusté le contenu jusqu’à la fin du mois de janvier, même début février ! Parce que c’est un livre qui contient beaucoup d’actualité. Donc, j’ai aussi essayé d’inclure des éléments qui étaient déjà dans l’air du temps, que tout le monde a entendus à gauche ou à droite. Pour que tout le monde qui s’intéresse un peu aux nouvelles [puisse être rejoint], justement, je me suis assuré d’offrir des exemples qui soient contemporains, accessibles et qui raisonnent dans la tête des gens. Pour que ça sonne une cloche quand ils allaient lire sur -je dis n’importe quoi, mais- le troisième lien, la réforme du mode de scrutin ou les « fameux » chèques de Trudeau et de Legault. J’ai essayé d’apporter de ces histoires-là que tout le monde connaît.
Éclairages théoriques et de la recherche
Parmi d’autres autrices et auteurs, des membres du GRCP se distinguent dans votre ouvrage : Jérémie Drouin, Yannick Dufresne, Thierry Giasson, Mireille Lalancette, Alex Marland et Éric Montigny. Y a-t-il une influence, parmi ces personnes ou parmi d’autres, dont l’apport particulier serait à souligner dans les idées soulevées par vos écrits ?
Je peux nommer des noms : Thierry Giasson, Émilie Foster et Alex Marland, par exemple. Ce sont des gens qui ont tellement su mettre en lumière comment fonctionne le marketing politique, comment fonctionne la communication politique aujourd’hui, que c’était impensable pour moi de ne pas faire reposer une partie de mon analyse sur leurs travaux. Ils et elles ont des données qui sont précieuses, ils et elles ont des grilles d’analyse qui sont ultra pertinentes. Ce que je peux amener, c’est ma perception de l’intérieur [du jeu politique], étant donné que je l’ai couvert. J’ai eu un accès à ces acteurs et à ces actrices politique au quotidien pendant deux ans à l’Assemblée nationale. J’ai couvert les congrès des partis politiques. J’ai couvert les conseils généraux. J’ai eu des discussions privées avec des député·e·s et avec des ministres. Je suis capable d’apporter l’éclairage « très terrain », mais ce que j’y découvre, on le retrouve très clairement dans la recherche avec les tendances qui y sont décrites dans la littérature et qui nous permettent de comprendre ce qui se passe sur ce terrain. Donc, pour moi, c’était inévitable de faire reposer une partie de mon analyse sur les travaux de ces gens-là. Notamment parce que la communication politique, aujourd’hui, domine la scène politique, ou ce qu’on en voit. Le marketing politique a pris une influence considérable dans la vie politique contemporaine. Pas juste dans la vie politique des gouvernements, mais aussi dans la vie politique des partis. Donc ces questions-là étaient incontournables. En fait, j’oserais dire que je suis reconnaissant et que je souligne la qualité des travaux qui se font en science politique, ici, au Québec et au Canada, sur ces thématiques-là. Ce serait très facile de se reposer sur ce qui est fait aux États-Unis, mais y’a vraiment du travail colossal qui est abattu ici et ça éclaire vraiment beaucoup ma lecture de la situation.
Dans une perspective constructive, avez-vous identifié une subdivision du sujet principal que vous n’avez pas pu explorer à votre pleine satisfaction, parce que, par exemple, vous manquiez d’outils fournis par la recherche pour nourrir ou compléter votre réflexion ?
Je peux me tromper, mais je trouve peut-être que la question de la montée du populisme est encore relativement peu étudiée. En tous cas, de mon point de vue, au sujet de la montée du populisme au Canada, y’a bel et bien des travaux qui existent, mais c’est dans cette section-là de l’ouvrage où j’ai eu le plus de difficulté à trouver des données pertinentes. Je me suis beaucoup reposé sur l’actualité, j’ai aussi beaucoup consulté ce qui se passe dans d’autres pays, d’autres États du monde, notamment en Europe, aux États-Unis, en Argentine et au Brésil de Jair Bolsonaro. Donc, pour la section sur le populisme, j’ai beaucoup d’exemples internationaux. Peut-être que la raison pour laquelle il n’y a pas tant de travaux encore ici, c’est que la montée de cette tendance politique au Québec et au Canada, même si elle a toujours existé, n’est peut-être pas si ancienne que ça. Mais encore une fois, même si elle a toujours existé, je pense que cette montée du populisme est relativement contemporaine comme posture politique. Et c’est elle qui m’a donné le plus de fil à retordre sur le plan des données, ou le plan de la recherche.
L’autre aspect sur lequel c’était peut-être plus difficile pour moi, c’était sur le rôle des médias. Parce que, de par mes fonctions de journaliste, c’est certain que j’ai quand même dû faire attention pour me garder une certaine réserve. J’ai voulu dire les choses de manière très transparente et très honnête pour montrer au public qu’on est clairement très conscient, dans les médias, qu’on a des défis et qu’on n’est pas parfaits. Si on fait de l’analyse critique sur les autres, je pense qu’il faut avoir l’honnêteté de faire de l’analyse critique sur soi-même. Mais je n’ai pas pu entrer de manière nominative dans des histoires particulières qui auraient pu se passer dans l’univers des médias. J’ai traité de manière très macroscopique l’univers médiatique : qu’est-ce que j’observe; qu’est-ce qu’on en sait aussi. La science politique m’a été utile là-dessus. Mais c’est une section où, encore, de par mes fonctions de journaliste, j’ai voulu nommer les défis sans compromettre spécialement quelqu’un. C’est d’ailleurs ce que j’ai fait partout dans l’ouvrage : c’est-à-dire que je ne pointe personne du doigt particulièrement, car ce que je fais, c’est le diagnostic d’un système dans lequel j’ai baigné pendant deux ans comme journaliste.
À la page 64, vous insistez sur « Le règne de l’image ». Avec le temps, la politique s’est-elle trop professionnalisée pour réussir à bien cadrer cette image ? Aujourd’hui, est-il envisageable pour un·e simple citoyen·ne de se lancer en politique sans profiter de l’appui et des conseils avisés des professionnel·le·s qui en font un métier ?
J’ai bien l’impression que quiconque se lance en politique aujourd’hui réalise assez rapidement que ça vient avec des codes qu’il faut maîtriser. L’enjeu, c’est que y’a bien des gens qui, en se lançant en politique, maîtrisent déjà ces codes-là, parce qu’ils et elles ont avant tout été des employé·e·s politiques ou des militants ou des militantes très présent·e·s. Ils et elles ont parfois occupé une fonction politique à un autre niveau qu’à un niveau fédéral ou provincial. Par exemple, des gens qui ont peut-être été conseillers municipaux ou conseillères municipales, où la « game » politique est moins forte et produit tout de même une forme de préparation aux échelons supérieurs ! Mais pour les gens qui viennent d’ailleurs complètement, qui n’ont jamais milité, qu’on recrute vraiment parce qu’ils ou elles sont des « candidat·e·s vedettes » ou des gens qui pourraient être bien perçus par la population, on le voit que ces gens-là vivent parfois un petit choc en arrivant dans leurs fonctions. Certains et certaines le disent au moment de quitter leurs fonctions, qu’ils ou elles ont vécu un petit choc, que ça n’a pas été facile…
C’est très difficile, et je l’ai dit dans toutes mes entrevues et je le redis, parce que je trouve que c’est très important : l’ouvrage ne blâme pas les politiciens et les politiciennes pour la situation dans laquelle on est. L’ouvrage cherche à expliquer comment le système a évolué depuis cent ou cent-cinquante ans au Québec ou au Canada, puis ailleurs dans le monde aussi, mais, grosso-modo, comment le système a évolué pour faire en sorte qu’aujourd’hui l’électoralisme est si présent et que ça affecte autant l’humeur des citoyens et des citoyennes par rapport à la politique.
Il-y-a cent ans, le président des États-Unis n’avait pas d’attaché·e de presse. Au début de son règne, Stephen Harper avait des dizaines de conseillers et de conseillères en matière de communication, alors que John Diefenbaker en avait un·e ou deux. J’en parle dans l’ouvrage de ça : la place grandissante que les gens de communication ont prise dans l’univers politique est vraiment spectaculaire ! Ce serait difficile pour les politiciens et les politiciennes de se passer de tout ce monde, parce que l’univers médiatique a aussi beaucoup évolué et met énormément de pression sur les épaules des politiciens et des politiciennes. Donc ils et elles ne seraient pas capables de tout accomplir seul·e·s sans une petite armée de gens autour d’eux et d’elles pour les aider à comprendre leurs dossiers, les aider à formuler des lignes de communications ou les aider à gérer un horaire d’entrevues. J’ai l’impression que c’est presque inévitable, sauf peut-être pour quelques député·e·s indépendant·e·s, qui vont parvenir à se faire une place au fil du temps. Mais ils et elles sont extrêmement rares. Ceux et celles qui peuvent peut-être se permettre d’esquiver une partie des obligations liées à la communication politique, de nos jours, ce sont les député·e·s indépendant·e·s, parce qu’ils et elles n’ont pas à respecter de ligne de parti, donc ils et elles sont plus libres de dire ce qu’ils et elles pensent réellement. Ils et elles sont aussi beaucoup moins sollicité·e·s par l’univers médiatique que les député·e·s qui font partie d’une formation politique. Ils et elles sont donc moins à « jouer ce jeu ». Et il y a des exemples très contemporains : je pense à Youri Chassin et à Marie-Claude Nichols [NDLR : qui a réintégré les rangs du PLQ depuis l’élection à la chefferie de Pablo Rodriguez], qui disaient à la presse, il y a quelques mois en entrevue, qu’il et elle n’ont jamais été « d’aussi bon·ne·s député·e·s » pour leurs citoyens et leurs citoyennes que depuis qu’il et elle sont des député·e·s indépendant·e·s.
Donc, c’est ça : je pense que c’est inévitable, n’étant pas la faute des politiciens et des politiciennes. Mais le système a tellement changé, qu’aujourd’hui, on ne peut pas complètement négliger l’aspect de l’image. C’est aussi comme ça que les journalistes -et les médias en général- vont analyser la politique. Pas toujours, mais une bonne partie de l’analyse politique repose sur l’image. Pensons aux débats des chefs : comment on parle des débats des chefs ? Qui l’a gagné ? Qui l’a perdu ? Est-ce qu’ils et elles avaient l’air en contrôle, est-ce qu’ils et elles n’avaient pas l’air en contrôle ? C’est très rare qu’on analyse un débat politique sous l’angle des politiques publiques qui sont proposées par les partis. L’univers médiatique crée une forme de contrainte d’image pour les politiciens et les politiciennes aussi. Je me souviens d’avoir regardé le débat Joe Biden/Donald Trump en juin l’année dernière, d’avoir vu Joe Biden trébucher et d’avoir l’air complètement confus. Je me souviens très bien à ce moment-là d’avoir dit : « C’est sûr que toutes les analyses post-débat vont porter uniquement sur Joe Biden et ses capacités cognitives. » Alors que ce débat-là aurait pu être analysé de plein d’autres façons ! Notamment, sur le plan des mensonges véhiculés pendant tout le débat, sur le plan de la faisabilité des politiques qui étaient proposées à la fois par le candidat démocrate et le candidat républicain. Mais la seule chose dont on a parlé, littéralement ou presque, c’est la capacité cognitive de Joe Biden. Donc, clairement, le débat qui est dans l’univers médiatique crée une contrainte à l’image pour les politiciens et les politiciennes qui est extrêmement forte. Parce que « le débat sur le débat » va porter essentiellement sur l’image !
Solutions
Révocation des élu·e·s, scrutin proportionnel, élongation des mandats, abolition de la ligne de parti, etc. Vous abordez différentes propositions envisageables pour améliorer les bilans démocratiques du Québec et du Canada. Croyez-vous que l’une d’entre elles presse plus que les autres à être débattue dans l’espace public ?
Ce que j’ai fait, c’est recenser des solutions qui sont déjà proposées et qui existent déjà. Je ne suis pas en train de dire « Je, Alexandre Duval, dit qu’il faut mettre ÇA en place. ». Je dis plutôt « Voici ce qui est sur la table. Voici ce à quoi nous pouvons réfléchir collectivement. ». J’ai envie de dire que la proposition qui semble être une évidence pour beaucoup de personnes au sein de la population, c’est la réforme du mode de scrutin : ça fait longtemps que l’on sait que ce serait quelque chose qui permettrait de donner aux citoyens et aux citoyennes l’impression que leur vote compte, même lorsqu’ils et elles soutiennent un parti qui est peut-être plus marginal dans les intentions de vote. Ça, c’est une manière de raccrocher des gens à la politique, des gens qui sont actuellement exclus du débat démocratique dans nos parlements. Donc, c’est un moyen très simple : on pourrait juste changer la manière dont on vote et la manière dont on traduit les votes en sièges. C’est extrêmement simple, mais ça prend une volonté de le faire !
Après, une proposition qui est peut-être moins évidente, mais à laquelle j’ai beaucoup aimé réfléchir en lisant ce que certains analystes ont dit là-dessus, c’est la durée des mandats. Notre constitution prévoit, au Canada, qu’un mandat peut durer un maximum de cinq ans. Mais, partout au Canada, on a adopté des lois sur les élections à dates fixes pour que ce soit quatre ans, maximum. Donc on a rapproché les échéances électorales en se disant « Ah, on va enlever un avantage au gouvernement ! On va faire en sorte que tous les partis politiques sachent quand les élections seront déclenchées. » Mais ce faisant, ce que l’on constate dans la littérature, c’est qu’on a accéléré le rythme de la campagne électorale permanente. Donc, en accélérant cette dernière, les politiciens et les politiciennes, dès le Jour 1 post-électoral, au Jour 1 de leur entrée en fonctions, sont déjà en train de préparer le prochain scrutin prévu dans quatre ans. Forcément, ça a un impact sur l’action politique et ça a un impact sur le type de communication politique que les partis servent à la population : une communication qui est vraiment très souvent orientée vers l’objectif de convaincre la population du bien fondé de quelque chose. Alors que la communication politique pourrait aussi être informative. Elle pourrait aussi servir à provoquer des réflexions, à provoquer des débats ! Là, on est beaucoup plus dans une logique de gains électoraux, parce que les échéances électorales sont tellement rapprochées…
Aux États-Unis, certaines personnes réclament une prolongation du mandat présidentiel. Le premier mandat pourrait durer six ans au lieu de durer quatre ans, pour éviter, justement, que dès son élection, le président ou la présidente se mette en mode « réélection ». En France, on avait des mandats de sept ans pour la présidence. Maintenant, c’est rendu un quinquennat. Y’a plusieurs analystes qui estiment que ça a contribué à « hystériser » la vie politique française, que la personne présidente est devenue obnubilée par sa réélection. Y’a eu des tentatives de revenir aux septennats. Tentatives législatives qui ont échouées. Mais, cette idée d’avoir des mandats plus longs : j’ai vraiment aimé y réfléchir. Je ne dis pas que c’est une panacée. Je ne dis pas que ça va régler tous nos problèmes; ça pourrait même potentiellement créer d’autres problèmes… Mais, si on conjuguais cette proposition avec d’autres solutions, peut-être que l’on parviendrait à réduire l’intensité de la campagne électorale permanente et, ce faisant, les incitatifs à adopter une posture électoraliste dans la gouvernance entre les élections.
Vous connaissez bien Mylène Farmer, une artiste que vous admirez et que vous aimez faire découvrir ou redécouvrir. Dans votre livre, vous avez glissé une de ses citations : « À force d’ignorer la tolérance, nous ne marcherons plus ensemble. » (p. 165). Sans doute, dans le contexte de votre écrit, s’agit-il de prendre connaissance de cet extrait avec une interprétation politique. Comment, justement, pourrait-on inviter nos actrices et nos acteurs démocratiques à une plus grande ouverture face à l’autre lorsqu’eux·elles-mêmes nous semblent vivre dans une ère où l’on se durcit dans nos positions ?
C’est à ça que la petite citation mise en exergue sert : pointer la polarisation ! Je pense que si les citoyens et les citoyennes désabusé·e·s de la politique osent se plonger dans l’ouvrage pour comprendre d’où viennent leurs sentiments, ils et elles vont très vite comprendre que les politiciens et les politiciennes ne sont pas responsables de tout ! Ils et elles évoluent dans un système qui amène son lot de contraintes. Donc, je pense que de savoir et de comprendre comment le système a évolué peut amener les citoyens et les citoyennes à être plus respectueux et respectueuses des élu·e·s. Plus compréhensifs et conpréhensives. Plus empathiques des différentes contraintes auxquelles les élu·e·s sont confronté·e·s. Si la population parvient à avoir cette ouverture-là sur les élu·e·s, et comprendre que les élu·e·s sont des humains et des humaines qui évoluent avec des contraintes qu’ils et elles n’ont pas choisies (Parce que le système existait bien avant eux !), peut-être que les politiciens et les politiciennes vont moins sentir qu’ils et elles sont -et ils et elles le ressentent !- et font l’objet de pressions, de désaffections ou de menaces à leur santé physique. C’est épouvantable ! On a vu ça dans les dernières années ! Peut-être que le dialogue devient possible si la population fait son bout de chemin pour comprendre que les gens qui se lancent en politique se lancent vraiment avec de bonnes intentions, mais qu’ils sont dans un système qui a ses torts, peut-être que les politiciens et les politiciennes vont sentir cette forme d’appréciation de leur travail. Je pense qu’ils et elles la ressentent, à certains égards, mais il faut quand même avoir l’honnêteté de se dire que ce n’est quand même pas facile être politicien ou politicienne en 2025. Peut-être que le dialogue devient possible…
J’ai envie de dire : dans ce boucain-là, on a Sylvain Gaudreault, anciennement du Parti Québécois; Hélène David, anciennement du Parti libéral du Québec; et Émilie Foster, anciennement de la Coalition Avenir Québec, qui signent chacun·e une préface. Ce qui démontre très bien que, tous partis confondus, cette réflexion-là existe déjà. Déjà les élu·e·s et les ex-élu·e·s constatent que l’électoralisme prend beaucoup de place dans le système, constatent que ça a une incidence très claire sur leurs relations avec les citoyens et les citoyennes, constatent que ça peut mener à des conséquences potentiellement dramatiques pour la santé de notre démocratie et qu’il faut trouver des moyens de ralentir cette spirale-là.
Mais ça, ça ne pourra pas se faire sans la population ! Ça ne pourra pas se faire sans une forme de dialogue. J’ai vraiment l’impression qu’une partie de la réponse, c’est que les citoyens et les citoyennes comprennent vraiment comment ça se passe et à quelles contraintes les élu·e·s sont confronté·e·s dans l’exercice de leurs fonctions. Ça a l’air un peu ésotérique dit comme ça, mais c’est sûr et certain que quand t’es politicien ou politicienne et que tu sors dans la rue et que tu sens la désaffection… Ils et elles le vivent ça aussi… Sur les réseaux sociaux, y’en a beaucoup qui parlent des invectives dont ils ou elles sont victimes, des insultes qu’ils et elles subissent. C’est sûr que ça ne facilite pas le dialogue quand tu sens qu’il y a une partie de la population qui a une aversion pour la politique. Cette aversion-là vient de quelque part. Une fois qu’on a compris d’où vient cette aversion, est-ce qu’on peut avancer et comprendre qu’il-y-a tout un système derrière ? Je suis conscient que ça sonne un peu ésotérique, mais c’est peut-être le début d’un dialogue.
Dans votre conclusion, vous proposez de faire demi-tour, d’instaurer des pratiques parlementaires et électorales inspirant un nouvel élan à nos démocraties. Est-ce que le terreau est fertile pour s’éduquer et soigner cet idéal au Québec et au Canada ?
Je pense que oui ! Parce que les choses que j’ai écrites dans le boucain, je ne les invente pas ! Elles sont déjà connues et documentées. On parle déjà de réforme de mode de scrutin. On parle déjà d’assouplissement de la ligne de parti. On parle déjà d’une réforme de la loi sur l’accès à l’information. On parle déjà des enjeux d’une fonction publique qui est davantage valorisée. On parle déjà des enjeux médiatiques du cycle de nouvelles en continu. Tout ça est déjà connu. À partir du moment où tout ça est connu et qu’une partie de la population réclame ça, qu’une partie des élu·e·s réclame ça… Je ne vois pas qu’est-ce qui pourrait bloquer l’avancement de certaines de ces idées-là. Ce qui me semble clair, par contre, c’est que même si les politiciens et les politiciennes ne sont pas responsables de la situation actuelle dans laquelle ils et elles se trouvent, ils et elles ont une responsabilité à l’égard du système qu’ils et elles vont laisser en place lorsqu’ils et elles vont quitter leurs postes. Donc, ce qui est clair, c’est que la société civile réclame des changements, mais la possibilité de réaliser ces changements-là est entre les mains des élu·e·s d’aujourd’hui. Ils et elles ne le diront peut-être pas ouvertement en entrevue, mais il y en a beaucoup qui aimeraient ça avoir une ligne de parti plus assouplie. Y’en a beaucoup qui aimeraient ça que la réforme du mode de scrutin se produise. Même si ça n’est peut-être pas à l’avantage de leur parti aujourd’hui, c’est quand même dans l’intérêt de la population pour toutes les raisons que l’on a nommées précédemment. Je pense que le terreau est fertile. Je dirais même que les citoyens canadiens et les citoyennes canadiennes sont nombreux et nombreuses à regarder avec effroi ce qui se passe aux États-Unis et à se dire « Mon Dieu, où s’en va le monde ? ». Ce qui se passe aux États-Unis n’est pas tout-à-fait indissociable de l’électoralisme. S’il-y-a des gens qui se sont réfugiés chez un personnage politique aussi atypique que Donald Trump, c’est parce qu’ils et elles ont été déçu·e·s au cours des dernières décennies par la politique. Donald Trump est allé canaliser beaucoup de ressentiment, beaucoup d’insatisfaction. Alors il faut se poser la question : si on ne s’attaque pas chez nous à ce ressentiment-là et à cette insatisfaction-là, jusqu’où ça peut nous mener ? Je ne dis pas que c’est forcément à cet endroit-là que ça nous mène. Mais c’est possible que la spirale électoraliste, lorsqu’elle favorise l’émergence de politiciens et de politiciennes populistes qui canalisent cette fatigue-là, cette indifférence-là ou cette frustration-là, mène éventuellement à une dégradation de la démocratie. Je dirais que les États-Unis doivent nous servir d’avertissement. En ce sens-là, comme beaucoup de Canadiens ou de Canadiennes et beaucoup de Québécois ou de Québécoises regardent avec effroi ce qui se passe aux États-Unis, je pense que le terreau est probablement plus fertile que jamais pour se poser ces questions-là.
Je ne suis pas devin. Mais je finirais en te disant : jusqu’à présent, les retours que j’ai par rapport à ce boucain-là, Obsession : élections !, vont un peu dans ce sens-là. Y’a beaucoup de gens qui m’écrivent pour me dire : « Ça fait tellement du bien de lire des choses dites clairement, sans complaisance, sans parti pris non plus. Mais qu’on lise les choses écrites clairement. ». Y’a même des gens qui m’ont dit : « Ça fait longtemps que je me dis qu’on devrait abolir les partis politiques ! ». Ce n’est pas moi qui dis ça, mais les gens ont des réflexions… Je pense que, jusqu’à maintenant, les retours que j’ai montrent qu’il y a beaucoup de gens qui se soucient de la santé de notre démocratie et qui craignent pour la suite des choses.
Christopher Beaulieu
